REPORTAGE

Dans la vie de cochon,
tout est bon

Mangalicas, une viande et un élevage atypiques

Ils ont bien failli disparaître. Aujourd’hui, les cochons mangalica (ou mangalitza) renaissent notamment grâce à l'engouement des chefs, grands amateurs de leur viande persillée, à la saveur unique. En France, ils ne sont qu’une poignée à élever ces cochons laineux qui vivent et se nourrissent en pleine nature. Dans l’Ariège, rencontre avec Aymeric, qui défend cette conception « radicale » de l’élevage, où les porcs vivent, dans les bois, une « vraie vie de cochon ».

Les cochons se nourrissent de tout ce qu’ils trouvent dans les bois, glands, feuilles, champignons, racines… « En automne, ils sont tellement gavés de châtaignes qu’ils sont gras comme des loukoums. Je les complémente surtout pour qu’ils ne m’oublient pas ! » Aymeric ne leur donne jamais à manger au même endroit, ni près du point d’eau. Les cochons dorment dehors toute l’année, à même le sol. Il leur a construit une cabane en bois mais ils n’y vont jamais. Même les femelles qui vont mettre bas : pour donner naissance à leurs petits, elles préfèrent préparer un nid avec de la paille et des branchages

C’est un élevage « radical », reconnaît-il, qui refuse au maximum les compromis. Quitte à crapahuter un peu trop dans les bois, à perdre du temps et de l’argent. « Pour moi, c’est ça l’élevage. Il ne faut pas confondre le travail paysan avec ce qu’en a fait l’agro-industrie. »

Sous le regard des deux chiens Rocky et Neva, les derniers nés, âgés d’un mois et demi, sont encore dans le parc « familial », avec leur mère et Repetto, l’impressionnant reproducteur de quelques 200 kilos, bien plus gros qu’un sanglier auxquels les Mangalicas sont souvent comparés (même s’ils n’ont rien à voir). Les petits seront sevrés quand ils seront prêts ; la fratrie grandira ensemble dans les bois. « Il suffit de les observer pour voir les femelles éduquer les enfants, communiquer entre eux, ordonner leur hiérarchie… La vie sociale est très importante pour cette espèce. »

Une race sauvée par des passionnés

La rusticité, le temps… C’est ce qui a failli provoquer la disparition de ces cochons forestiers, pourtant une des plus anciennes races d’Europe. Comme d’autres porcs à la croissance lente, les Mangalicas ont pâti du développement de l’élevage intensif. Malgré son air sympathique avec sa toison frisée, c’est un animal bien peu rentable et adapté aux pratiques et aux cadences de l’élevage « moderne ». Alors qu’il faut six mois pour qu’un cochon classique arrive à maturité, et un an pour un porc noir, il faut compter environ deux ans pour un Mangalica. Mais c’est aussi ce qui lui donne sa chair persillée si savoureuse et fondante… Une viande d’exception. Ce n’est pas un hasard si ce sont quelques amoureux de la race et gastronomes avertis qui l’ont sauvée de l’oubli. C’est désormais un trésor national en Hongrie, qui l’a inscrite en 2004 à son patrimoine national gastronomique.

En France, si le Mangalica fait de plus en plus parler de lui, ils sont encore moins d’une cinquantaine d’éleveurs à s’être lancés dans cet élevage qui ne choisit pas la facilité. « Que des profils atypiques, loin du profil classique », remarque Aymeric, lui-même ancien réalisateur vidéo. Plus qu’une reconversion professionnelle, Aymeric et sa famille expérimentent en Ariège une nouvelle façon de vivre, « en cohérence ». « On voulait vivre dans le futur ; et le futur ce n’est pas la mode ou la publicité », confie simplement le quadragénaire. Il a découvert l’élevage forestier chez un éleveur de Duroc, une autre race de porcs « plein air ». Une révélation. Puis il a rencontré les Mangalicas, rustiques mais aussi très sociables, attachants. Et il y a cinq ans, il s’installait au Moulin de l’Estanque avec sa famille, pour conjuguer le futur au présent.

Aymeric n’a pas tardé à se faire une clientèle à Toulouse, et même à Paris, où cette viande d’exception est de plus en plus prisée. Elle ne ressemble en rien à ce qu’on connaît de la viande de porc, ni visuellement (elle est très rouge), ni gustativement. Ce qui fait sa particularité, c’est sa graisse, deux fois plus importante que dans un porc classique. Le résultat d’une vie en pleine nature et d’une alimentation sauvage. « Le porc, à la base, c’est gras, rappelle Aymeric. Mais il y a une vraie pédagogie à faire sur le gras, le bon gras, qui est bon pour la santé. » Celui du Mangalica est riche en acides gras insaturés et contient plus d’Omégas 3 et d’Omégas 6 que le saumon. Et en automne, il a même le goût de châtaigne.

« Il ne faut pas croire, je suis pour que l’on décarne à fond notre alimentation, et surtout qu’on arrête de manger de la viande de merde, affirme Aymeric. Quand tu achètes une viande pas chère, ce que tu ne voies pas ce sont les coûts cachés derrière, la souffrance animale, la souffrance humaine, la pollution… Ça me fait aussi mal de voir un verger industriel. Manger un végétal qui a souffert, ça n’est pas bon non plus. Des arbres qui sont tirés pour produire un maximum dans un minimum de temps, arrachés et jetés dès qu’ils commencent à moins donner… Ce sont des organismes qui ont une évolution bien plus longue que l’avènement de l’histoire agro-alimentaire et qu’il faut traiter avec respect au même titre que les animaux d’élevage. Au-delà de l’aspect gustatif ou nutritionnel, je pense que c’est ça qui fait la différence. C’est important, sur la production animale ou végétale, de consommer des êtres qui ont été réellement vivants et qui ne sont pas juste des objets de consommation. »

Il ne restait plus que quelques centaines de Mangalica dans son berceau de Hongrie, dans les années 90, quand des passionnés de la race ont entrepris de la sauver de la disparition avec, en tête, le généticien Peter Tóth, désormais président de l’Association hongroise des éleveurs. Aujourd’hui, le cheptel en Europe s’est considérablement repeuplé, et l’élevage de Mangalica se développe rapidement.

« Je respecte au maximum leur nature de cochon.
Ce que j’essaye d’éviter plus que tout, c’est la souffrance
des animaux et leur chosification. J’élève un animal vivant, qui a une vie. Ce n’est pas un objet uniquement
destiné à la production de viande. »
« Aujourd’hui, si le Mangalica est à la mode, c’est parce que sa viande se vend quatre fois plus cher que les autres, mais il ne faut pas oublier qu’il faut aussi quatre fois plus de temps pour l’obtenir... »

La petite communauté d’éleveurs de Mangalicas qui est en train de s’organiser pour que la race soit officiellement reconnue en France, et surtout pour la protéger. « Le cheptel est tellement petit, la génétique est très fragile. Il faut encadrer rapidement tout ça pour conserver la pureté de la race Mangalica. »

Ce reportage a été initialement publié dans le numéro 7 de notre revue, Oxytanie

C’est un petit coin de nature sauvage, perdu dans une petite vallée ariégeoise. Un bois pentu, plein nord, qui voit à peine le soleil de l’hiver. Un cadre pas banal pour un élevage, mais les animaux sont également très particuliers : ce sont des cochons Mangalicas (prononcer mangalitsa), une race très rustique originaire d’Europe de l’Est qui a la particularité d’avoir les poils longs et laineux. De drôles de cochons, frisés comme des moutons, qui naissent et passent toute leur vie là, en liberté dans la forêt. Tellement libres qu’aujourd’hui, ils se font prier pour répondre à l’appel d’Aymeric, qui leur amène pourtant leur ration quotidienne de céréales et de légumineuses. Dans cet élevage en pleine nature de presque sept hectares, il n’y a pas de mangeoire et encore moins de nourrisseur. Le repas se prend à même le sol. « Ils sont faits pour manger par terre, explique l’éleveur. Dans deux heures, ils seront encore là en train de fouiller le sol, c’est dans leur nature. »